mardi 18 mai 2010

PATRICK DESBOIS, DOCTEUR HONORIS CAUSA DE BAR-ILAN




Le père Patrick Desbois, prêtre catholique et historien de la "Shoah par balles" en URSS occupée entre 1941 et 1944, a été fait docteur honoris causa de l'Université Bar-Ilan le 12 mai 2009. C'était la première fois qu'une université israélienne lui conférait cette distinction. Il retrace son itinéraire dans cette interview recueillie par Michel Gurfinkiel.



Un prêtre catholique qui se consacre à la redécouverte de la Shoah en Ukraine. A priori, c’est surprenant…

Ca s’est fait un peu par hasard. Mon grand-père, prisonnier de guerre français, avait été transféré pour insubordination au Stalag 325 de Rawa-Ruska, à la frontière de la Pologne et de l’Ukraine actuelles. Une expérience qui l’a marqué à jamais. Quand les Français sont arrivés dans ce camp, ils ont appris que les « locataires » précédents, des prisonniers de guerre soviétiques, venaient d’être « liquidés ». Ils ont ensuite vu journellement des exécutions de juifs. Il y avait quelque chose de tellement infernal dans cette situation qu’ils ont fini par demander un beau jour au commandant allemand d’être fusillés, eux aussi. Cet officier a posé la question à Berlin : on lui a répondu que la politique du Reich était, pour l’instant, de reconnaître aux Français, à la différence des Soviétiques et des juifs, le bénéfice des conventions de Genève. Vous comprendrez aisément que, lors de l’effondrement de l’URSS, en 1991, je ne pouvais pas ne pas me rendre sur place. Pour voir ce qu’il restait de l’enfer, près d’un demi-siècle plus tard.

Et qu’avez-vous vu ?

Personne ne semblait savoir exactement où les juifs avaient été massacrés, où se trouvaient les fosses communes… J’ai dû mener une véritable investigation policière. Interroger beaucoup de gens, avec l’aide du prêtre local. Recouper les indications. Rencontrer des personnes très âgées, qui avaient été des témoins oculaires. Finalement, j’ai retrouvé ces fosses : elles étaient cachées dans des taillis, invisibles. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour marquer leur emplacement, préserver leur souvenir.

Et puis ?

Et puis les choses ont pris de l’ampleur. Je suis allé sur le site d’autres massacres. Comme à Rawa-Ruska, l’oubli était en train de s’installer : un repérage d’ensemble, portant sur l’ensemble de l’Ukraine, semblait donc nécessaire. Mais ce n’était pas tout. A travers les recherches sur les fosses communes, j’entendais des choses extraordinaires sur les massacres eux-mêmes, la façon dont ils avaient été organisés et perpétrés. J’ai compris que des pages cruciales de l’histoire de la Shoah étaient à réécrire.

Pourquoi ?

Le travail historique « classique » sur la Shoah a porté essentiellement sur les pays occidentaux, à commencer par l’Allemagne, et certains pays communistes d’Europe centrale et orientale, notamment la Pologne, où la plupart des camps nazis étaient situés. Mais l’URSS, jusqu’en 1991, était « hors champ ». Il était très difficile de s’y rendre, et plus encore d’y mener une enquête à caractère historique. En outre, le concept même d’un Holocauste ou d’une Shoah, c’est-à-dire d’un génocide des juifs, n’y avait pas cours : officiellement, les « fascistes » allemands n’avaient tué que des « citoyens soviétiques ». Résultat : beaucoup de choses restaient floues, ou étaient sous-estimées. On savait, en gros, que Himmler avait envoyé dans les territoires soviétiques occupés des unités mobiles chargées de l’extermination des juifs, les fameux Einsatzgruppen. On évaluait les victimes de ces opérations – au fusil et à la mitrailleuse, d’où le nom de « Shoah par balles » - à quelques centaines de milliers de personnes, un million au plus. On avait répertorié les sites des massacres, et l’on disposait parfois de photos terrifiantes prises sur lors de certaines exécutions. C’était apparemment beaucoup. Mais c’était en fait très incomplet par rapport aux connaissances dont on disposait sur la Shoah à l’Ouest.

Les Soviétiques avaient pourtant fait une enquête de terrain dès 1944 ?

Oui. Au fur et à mesure où ils reprenaient le contrôle des régions conquises par les Allemands en 1941 et en 1942, les Soviétiques constataient la disparition de populations civiles, découvraient des charniers, recueillaient des témoignages. De nombreux rapports ont alors été établis. Ils ont été utilisés au procès de Nuremberg ou en vue de la rédaction d’un document d’ensemble soviétique sur les crimes nazis, le « Livre Noir ». Mais ensuite, ils sont tombés dans l’oubli. Staline et ses successeurs les ont retirés de la circulation parce qu’ils allaient à l’encontre de la thèse officielle de massacres « antisoviétiques ». Les historiens occidentaux ont cessé de les utiliser parce qu’ils craignaient des falsifications du KGB, comme cela s’était produit dans le cas du massacre de Katyn. Aujourd’hui, avec le recul et compte tenu de l’on découvre en Ukraine, les rapports soviétiques initiaux suscitent à nouveau beaucoup d’intérêt. 80 % au moins de leur contenu semble avoir été vérifié.

Comment enquêtez-vous ?

Je travaille avec une équipe de onze personnes, toujours les mêmes. En moyenne, nous effectuons cinq voyages par an. Chacun de ces voyages dure une quinzaine de jours. Jamais plus, car le stress physique et moral est considérable. Presque rien n’a changé en Ukraine depuis la fin de la guerre. Imaginez une campagne immense, des routes à peine carrossables, des conditions de vie primitives, des habitations dépourvues de tout confort moderne, une paysannerie qui n’a pas encore très bien compris sous quel régime elle vivait aujourd’hui, des tensions toujours présentes entre ceux qui étaient restés fidèles à l’URSS en 1941 et ceux qui s’étaient ralliés aux Allemands. Imaginez un pays sans panneaux indicateurs, sans cartes fiables, où la plupart des gens ne savent même pas le nom de villages distants d’une dizaine de kilomètres. Nous arrivons sans prévenir, afin que personne n’ait eu le temps d’exercer des pressions sur les témoins éventuels. Les prêtres locaux, catholiques, uniates ou orthodoxes selon les régions, sont en général notre premier contact. Ils font savoir qu’un prêtre français et son équipe veulent rencontrer des personnes ayant assisté au massacre des juifs ou ayant reçu des informations à ce sujet. Cela rassure : l’essentiel, pour ces populations, est que nous n’appartenions pas « au KGB », ou à ce qui a pu lui succéder. Une fois ce point acquis, les gens viennent nous parler ou nous indiquent qui pourrait parler. Très simplement, sans difficulté. Nous photographions les personnes, nous filmons l’entretien. En fonction de ce qu’on nous a dit, nous localisons le site véritable des massacres, et donc des fosses communes, qui n’est souvent pas celui où l’on a érigé un monument ou une stèle à l’époque soviétique. Nous y cherchons d’autres indices : les douilles des tireurs allemands, par exemple. Et nous les trouvons. Notre but est de réunir, sur chaque massacre, le maximum de preuves tangibles et convergentes.

Qui finance vos voyages ? Qui assure le contrôle scientifique de vos enquêtes ?

Notre travail est placé sous l’égide de Yahad-In Unum (« Ensemble », en hébreu et en latin), une association judéo-chrétienne créée à cet effet. Nous bénéficions de l’appui de l’Eglise de France, du rabbin Singer du Congrès juif mondial, de la Fondation de la Mémoire de la Shoah (FMS), du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), du Musée national de la Shoah, du National Holocaust Memorial américain. Le suivi scientifique est assuré par ces mêmes institutions et par diverses universités. Les matériaux réunis au cours de nos enquêtes, qu’il s’agisse des enregistrements des témoignages personnels, des compte rendus de recherche sur le terrain ou d’objets, leur sont confiés.

Sur combien de sites avez-vous enquêté ?

Nous avons repéré 2400 sites en Ukraine et nous en avons étudié plus de 600. Plus nous avançons dans nos recherches, plus nous découvrons de nouveaux sites. Nous avons commencé à travailler en Transnistrie, dans l’ancienne Moldavie soviétique. A terme, nous voudrions couvrir également la Russie actuelle et la Biélorussie. Le temps presse. Les derniers témoins oculaires de la « Shoah par balles » ont entre soixante-dix et quatre-vingt-dix ans.

Qu’avez-vous appris de nouveau sur cette Shoah ?

Enormément de choses. D’abord, le modus operandi des massacres. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les juifs qui ont creusé leurs propres fosses, mais les paysans, mobilisés pour l’occasion. Ce sont les paysans, également, qui ont transporté les juifs sur le lieu de l’exécution, dans leurs carrioles. Les enfants ukrainiens étaient requis pour trier les vêtements des juifs. D’autres paysans ou paysannes devaient préparer la nourriture pour les exécuteurs. Dans de nombreux cas, les massacres n’ont pas été effectués par les Allemands, mais par des supplétifs ukrainiens, sous la surveillance des Allemands. En d’autres termes, une grande partie de la population rurale ukrainienne a assisté au génocide et une petite partie y a participé. De même, il ressort des témoignages que nous avons recueillis que les forces allemandes régulières, et pas seulement les Einsatzgruppen, ont participé d’une façon ou d’une autre aux massacres, ne serait-ce qu’en coupant les routes pour empêcher les juifs de s’enfuir, ou y ont assisté. On est très loin d’un crime commis dans une semi-clandestinité.

Les Ukrainiens se sont-ils prêtés au génocide par antisémitisme ?

Il y a eu des cas où la population locale a tué les juifs avant même que les Allemands ne soient là. Il y a celui des supplétifs ukrainiens, ou des prisonniers de guerre engagés dans la Waffen SS, qui ont participé activement au génocide. Le reste de la population a effectué des taches matérielles sous la contrainte. Certaines familles ont tenté de sauver des juifs. S’ils étaient découvert, c’était la torture et la mort. On nous a rapporté le cas d’une famille qui avait caché un enfant juif. Le commandant nazi local ne s’est pas borné à la faire fusiller : les cadavres des membres de cette famille ont été dépecés, et chaque morceau a été planté à une entrée différente du village, pour l’exemple.

Autres découvertes ?

Une autre idée reçue, c’est que la « Shoah par balles » aurait été en quelque sorte une Shoah « improvisée », menée dans l’urgence et au milieu des combats, à la différence de l’extermination quasi-industrielle menée à l’Ouest. Nous avons découvert qu’il n’en était rien. Tout était planifié, organisé dans le moindre détail, exactement comme à l’Ouest. Les Allemands prenaient bien soin de vérifier sans cesse l’identité juive des personnes qui allaient être exécutées : si un non-juif se trouvait là par erreur, il était immédiatement libéré (nous avons rencontré des personnes passées par cette épreuve). Les cas « douteux » au regard de l’idéologie nazie – demi-juifs, ethnies dont l’origine juive n’était pas certaine – bénéficiaient de sursis. Les « actions » étaient menées selon un plan géographique précis : les Allemands commençaient par les zones les plus proches du front puis remontaient vers l’arrière. Ils recouraient à des ruses psychologiques pour s’assurer de la docilité des victimes : la plus courante étant de les convoquer pour une « évacuation vers la Palestine ». En définitive, la seule différence avec la Shoah occidentale, ce sont les méthodes, plus appropriées aux conditions locales et beaucoup moins coûteuses.

Vous pensez que le nombre total des victimes est plus élevé qu’on ne pensait jusqu’à présent ?

Certainement. Certains massacres n’ont pas été pris en considération. D’autres ont été sous-évalués. Nous pensons que le total des victimes de la Shoah va au-delà du chiffre de six millions.

Il y a eu des révoltes dans les ghettos, dans certains camps… Pas en Ukraine ?

Le problème ne se pose pas comme cela. En fait, la plupart des hommes juifs valides se sont battus : ils avaient rejoint l’Armée rouge ou formé des maquis à l’arrière des Allemands, les fameuses unités de « partisans ». C’est surtout le reste de la population juive qui a subi la « Shoah par balles » : les personnes âgées, les enfants, les femmes.

Que deviennent les sites des fosses communes, une fois que vous les localisez ?

Nous menons notre action conformément à la loi religieuse juive, en liaison avec la yéshivah du Rav Schlesinger, de Londres. A priori, il nous est interdit de déranger les morts dans leur sommeil, et donc de procéder à des exhumations ou à une éventuelle réinhumation. Mais nous avons été en mesure de rapporter des faits nouveaux, comme le pillage des fosses : plus de soixante ans après le massacre, il y a encore des gens qui cherchent des dents en or ou d’autres objets de ce type. Selon les autorités rabbiniques, cela peut rendre nécessaire de nouvelles mesures. A titre personnel, je souhaite que les sites soient délimités, érigés officiellement en lieux saints, préservés. Les Allemands sont en train de réensevelir leurs morts de la Seconde Guerre mondiale, y compris les SS, dans des cimetières militaires magnifiques, à travers toute l’Ukraine. Je n’ai rien a priori contre de tels cimetières. Mais il serait inacceptable que pendant ce temps, les restes des victimes s’enfoncent dans une boue anonyme.

© Michel Gurfinkiel, 2010

MOSHE KAVEH : BAR-ILAN, UNIVERSITE RELIGIEUSE


Le Professeur Moshé Kaveh est le président de l’Université Bar-Ilan depuis 1996. D’origine juive polonaise, il est né en 1943 à Tachkent, en Ouzbékistan, dans ce qui était alors l’URSS. Son père, le Rav David Kaveh, était le seul survivant d’une famille de onze enfants assassinée pendant la Shoah.

Immigré en Israël en 1950, à l’âge de sept ans, Moshé Kaveh a fait toutes ses études supérieures à Bar-Ilan : BA, MA, docorat. Il a acquis une renommée internationale en 1971 en réfutant la « loi de Bloch » sur la conductivité électrique des métaux, mise en avant en 1928 par Felix Bloch, prix Nobel de Physique. Ses travaux ont porté sur la physique des solides, les systèmes désordonnés, les théories du chaos et la miniaturisation. Il a publié plus de 300 articles dans ces domaines.

Colauréat, avec le Prix Nobel Sir Nevill Mott, d’un Spécial Award de la Royal Society of England pour ses travaux sur les insulateurs, Visiting Fellow à la Royal Society, à l’Université de Cambridge et à l’Université de Pennsylvanie, il est également membre étranger de l’Académie des Sciences de la Fédération de Russie.

A la tête de Bar-Ilan, il a su y attirer de nombreux scientifiques de premier plan originaires de l’ex-URSS et transformer cette université en leader mondial en matière de recherche et de renseignement. Il vient d’obtenir la création d’un second campus à Safed, en Haute-Galilée, doté en particulier d’une Ecole de Médecine.

Marié, il est le père de quatre enfants, dont trois ont étudié à Bar-Ilan.

L’interview ci-dessous a été publiée le 21 mai 2009.

Bar-Ilan est une université israélienne religieuse. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que nous cherchons à atteindre l’excellence dans tous les domaines scientifiques, tout en assurant à nous étudiants un accès réel à la tradition juive, à l’histoire juive, à la religion juive, à notre héritage et à notre sagesse.

Bar-Ilan n’est pas une yéshivah, ni même une université-yéshivah ?

Non. Nous ne mélangeons pas les genres. Mais d’une certaine façon, Bar-Ilan est bien le plus grand centre d’études juives au monde. Notre université et les centres universitaires satellites assurent 2000 cours dans ce domaine, que suivent 33 000 étudiants. Rabbi Akiva, l’un des grands maîtres du judaïsme au IIe siècle de l’ère chrétienne, passe pour avoir eu 24 000 disciples. En termes purement numériques, nous l’avons dépassé. Et alors que les disciples de Rabbi Akiva auraient été – selon le témoignage de nos Sages - intolérants les uns envers les autres, nos étudiants sont élevés dans un esprit d’ouverture, de tolérance, de respect de toutes les opinions.

Il y a des enseignants et des étudiants non-religieux à Bar-Ilan ?

Bien sûr. 60 % de nos étudiants sont issus de milieux non-religieux. Et il va de soi que nous n’exerçons aucune forme de contrainte intellectuelle ou spirituelle à leur encontre. Nous ne prêchons pas. Nous nous bornons à assurer une éducation. A leur demande, en quelque sorte, puis que c’est en connaissance de cause qu’ils ont choisi d’étudier ici. Le vrai judaïsme religieux, à notre sens, consiste à accueillir. Pas à exclure.

Mais en sens inverse, certains milieux orthodoxes contestent l’éducation universitaire en tant que telle…

Il faut distinguer, à cet égard, entre plusieurs problématiques. Certains milieux estiment que les Juifs doivent se consacrer en priorité ou exclusivement à la Torah, et se tiennent à l’écart de l’université pour cette raison. D’autres redoutent l’atmosphère permissive qui règne souvent dans un milieu universitaire. Ce sont là des objections respectables, qui relèvent du choix personnel… Mais un troisième groupe estime que l’éducation supérieure moderne est antireligieuse par nature. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette opinion. Certains rabbins formulaient déjà des reproches de cet ordre contre Maïmonide – qui était à la fois talmudiste, halakhiste, rabbin, médecin et philosophe - au XIIIe siècle. Quelques uns sont même allés jusqu’à brûler ses œuvres. Aujourd’hui, huit siècles plus tard, personne ne conteste plus son orthodoxie : ce sont au contraire les ultra-orthodoxes qui se réclament le plus ardemment de lui.

Bar-Ilan correspond-il à un projet politique ?

Au sens large et élevé, sans doute. Le sionisme religieux n’a pas su créer une élite politique, un vrai leadership. Nous considérons comme notre mission de prendre la relève et d’encourager nos étudiants à prendre leurs responsabilités à cet égard, afin de mieux servir le peuple juif et l’Etat d’Israël. Sans donner de consignes en faveur d’un parti politique particulier, bien entendu.

Avez-vous été tenté vous-même par la politique ?

On m’a fait plusieurs propositions dans ce sens, mais je n’ai pas donné suite. Ce que je fais aujourd’hui à Bar-Ilan, c’est ma véritable mission. Je n’ai pas à m’en écarter.

jeudi 13 mai 2010

KARINE ELHARRAR ET LES CLINIQUES DU DROIT DE BAR-ILAN







Vous avez dit « clinique du droit » ? L’expression, calquée sur l’américain, est encore peu utilisée. Mais après le premier effet de surprise, elle dit bien ce qu’elle veut dire. Elle s’applique à des initiatives tendant à améliorer certaines situations juridiques. Par exemple, la condition des handicapés. Le droit ordinaire traite en effet des problèmes des gens ordinaires. Il est souvent inadapté aux cas exceptionnels, sortant de la norme.

Me Karine Elharrar, une avocate qui dirige les cliniques du Droit de la faculté de Droit Yaakov Hertzog de l’université Bar-Ilan, explique : « Un jour, les parents d’un homme de 38 ans victime d’un handicap mental très lourd, sont venus nous demander de l’aide. Chaque parent souffrait de maladies sévères et commençait à crouler sous le poids que la garde de leur enfant leur imposait, une tâche qui devenait de plus en plus compliquée pour eux. Malgré le refus de prise en charge du fils en maison d’accueil, notre équipe juridique est intervenue et a réussi à lui trouver une institution conforme à ses besoins ».

Elle ajoute : « Le programme des cliniques du Droit agit dans plusieurs domaines, souvent mis malheureusement de côté par le système juridique de notre pays… Nous dispensons avant tout des services professionnels gratuits aux personnes dans le besoin et issus des classes sociales les plus vulnérables. Nous permettons ainsi à nos étudiants en Droit d’acquérir une expérience pratique de la profession grâce à un contact avec les clients, ce qui complète leur formation théorique. Enfin, notre mission est de promouvoir une législation visant à l’amélioration du droit civil. »

La faculté Yaakov Hertzog, créée voici quarante ans, est la seule en Israël à offrir un tel programme d’aide juridique, auquel participent tous les étudiants de premier cycle. Ses sept cliniques du droit portent sur l’environnement, les droits des personnes handicapées, ceux des femmes et de la famille, le droit pénal et la médiation juridique, et enfin le droit hébraïque, qui régit les instances religieuses habilitées en Israël à régler des conflits monétaires. Elles donnent aux étudiants une connaissance et un vécu de la responsabilité sociale qui leur incombe. Dans le même temps cette activité leur confère une expérience professionnelle valorisante qui aura bien sur un impact sur leurs futures opportunités de carrière, ce qui n’est pas négligeable.

« Je me suis portée volontaire en temps qu'étudiante, et c’est au cours de mon master de Droit à Washington que j’ai intégré deux ONG qui s’occupent des droits des personnes handicapées moteurs ou mentaux » , poursuit Karine. Cette jolie jeune femme est particulièrement motivée : elle-même handicapée, elle ne se déplace que dans une sa chaise roulante. « Il y a tant de choses dont nous pouvons être fiers. La clinique du droit de la famille a déjà rédigé une proposition de loi (récemment adoptée par la Knesset) qui régira de manière plus juste les différents d’ordre financier entre un couple en divorce mais dont le guet, la procédure religieuse nécessaire, tarde à être prononcé. La clinique pour l’environnement a réussi à freiner des projets d’aménagement du territoire qui menaçaient de porter gravement atteinte à des réserves naturelles dans le pays. Dans ma propre clinique, nous avons obtenu du tribunal l’annulation d’un règlement qui empêchait les enfants gravement handicapés de bénéficier d’assistants personnels dans les classes à l’école. »

Le professeur Arié Reich, doyen de la faculté de Droit , explique comment ce programme se marie à perfection avec la vision qu’a Bar-Ilan du rôle éducatif et social de l’université : « Nous voulons faire comprendre à nos étudiants que leur formation n’est pas seulement un investissement personnel, mais aussi et surtout, un investissement pour la société et au pays. »

Pendant l’année universitaire 2010, 187 étudiants et onze avocats prennent part aux cliniques de droit. Ils traiteront probablement 6000 plaintes. L’université Bar-Ilan prévoit l'ouverture l'an prochain de deux nouvelles cliniques: l'une en droit du travail et l'autre pour les questions d’ordre légal liées à l'éducation.

Pour Karine Elharrar, ce n’est qu’un début : « Notre véritable but, à terme, est de créer une nouvelle génération d’avocats et de magistrats plus ouvert à leur prochain. »